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Dernière ligne droite

D'ici deux jours je serai à Saitama. J'avoue que même si l'idée de "présenter mes hommages" (ils seront hauts en couleurs) à ma tante ne me sourit guère, je suis un peu soulagé de cette pause. Ces dernières semaines m'ont bien crevé et pendant la période du nouvel an je peux espérer une vraie trêve. Même Gekkô m'oublie, c'est dire. Mon départ est juste avancé d'une semaine parce que dois ramener Shinkin (ma cousine, pour ceux qui ne la connaissent pas) Mademoiselle a fait une fugue. Mademoiselle a dix ans et m'a été ramenée par un couple de tanuki passablement ennuyés en m'expliquant qu'elle s'était faufilée dans leur procession. C'est en arrivant à Tokyo qu'ils l'ont découverte, cachée dans un stock de service à saké. "Elle nous a donné votre adresse." Regard de tueur sanguinaire à Shinkin, qui l'évite prudemment. "Merci de me l'avoir ramené. Je vous souhaite une année enrichissante." "Tout le plaisir était pour nous, Kondo-san." Après quelques échanges de politesse et de courbettes, ils s'en vont. Les tanuki sont de vraies bonnes pâtes, sauf en affaires. J'ai de la chance, ils n'ont pas considéré Shinkin comme faisant désormais partie de leur stock. "Ne va pas te planquer." Je siffle alors qu'elle s'esquive vers la salle de bains. "J'espère que tu as eu le temps de bétonner ton excuse pendant le trajet parce que là ça va saigner, Shinkin." "Tu vas me punir ?" Nooon. Elle a foutu le camp de la maison, s'est cachée dans un convoi de yôkai pour une destination qui se trouve à des kilomètres, ma mère et ma tante doivent avoir des cheveux et des sourcils blancs à l'heure qu'il est mais je ne vais pas la punir. Lui arracher la peau du dos serait approprié, par contre. "Shinkin, arrête de te foutre de moi ! Quand as-tu quitté la maison ??? Et pourquoi ?" "Je me suis disputée avec maman...Elle va être fâchée." Visiblement, sa mère a parlé de l'envoyer se "ressourcer" dans un temple un peu avant le nouvel an. Ca consiste à se geler les miches à l'ancienne et à faire de la méditation, autant dire qu'on s'y marre bien, surtout à dix ans. Et elle s'est bien gardée de m'en parler, la rombière, qu'elle allait y envoyer sa gamine pour une semaine. Y'a des parents qui préfèrent préparer le repas des fêtes avec leurs gosses mais ma tante trouve ça "stérile". "Ho rassure-toi, si elle a le choix entre nous deux, c'est moi qu'elle tuera." Je grogne en attrapant mon téléphone. Évidemment ça n'a pas loupé. C'était de ma faute, j'avais incité ma cousine à faire ça et si mon influence "désastreuse" n'avait pas joué, jamais elle n'aurait quitté la maison. Ben voyons. J'ai fini par lui rappeler - alors qu'elle me traitait de petit crétin irresponsable - QUI était le patron. Et qu'en sa qualité de maître, le petit "crétin" avait de toute façon le dernier mot. Je l'ai donc priée de se foutre son programme au fondement et fait savoir qu'elle récupèrerait sa progéniture quand ça me chanterait. Shinkin nous a écoutés nous engueuler. C'est sa punition, ça la mine de nous voir nous injurier sa mère et moi, d'autant qu'elle sait que c'est à cause d'elle la plupart du temps. En raccrochant, j'ai des envies de meurtre avec sévices barbares. Inspirer à fond. "Va prendre une douche, Shinkin. Je dois avoir un pyjama pour toi." "Oncle Satoru..." "Tais-toi." Je ne la regarde pas. "Jusqu'à demain matin, je ne veux plus t'entendre. File." Quoi qu'elle puisse en penser, elle s'en tire bien. Demain matin, elle aura oublié que je lui ai parlé comme ça. Et moi je vais m'en vouloir toute la nuit de l'avoir fait. Putain, parent c'est vraiment un métier de con...Sauf que j'ai rien signé, moi ! Être onmyôji n'est déjà pas une sinécure mais devoir gérer une gamine de dix ans en prime... Comme quoi, j'ai moins de difficultés à être autoritaire avec une troupe de kitsune surexcités qu'avec ma petite cousine. Bon il faut dire aussi que quand ils me font les yeux humides, eux ils prennent ma main sur la gueule. Shinkin ça ne risque pas de lui arriver et elle en abuse largement.

Je me suis levé ce matin avec le bras droit complètement ankylosé (elle a dormi dessus), le nez sur un atroce imprimé de bulles roses - QUI lui a acheté ce pyjama immonde ? C'est pas décent de faire porter un truc aussi vomitif à une petite fille - avant de réaliser que je n'avais plus que du café. Et que je ne me voyais pas lui faire des tartines avec. Direction le Mcdo. Pas équilibré mais au moins elle est contente et ça me déculpabilise un peu. La serveuse craque et lui glisse un pancake supplémentaire en douce en me félicitant sur ma "belle petite sœur". "Tu manges pas, oncle Satoru ?" "Un café ça me suffit, Shinkin. Tu le sais bien." "Pourtant d'habitude tu manges aussi le Nutella, tu sais avec les doigts..." Je m'étrangle avec ma tasse et essaie de retrouver un semblant de contenance alors qu'elle m'agite une cuillère pleine de sirop d'érable sous le nez, au risque de me faire un masque avec. Je pousse un gros soupir mais consens à ouvrir finalement la bouche. "T'es pas bien avec moi ?" "Pourquoi tu dis ça ?" "Tu fais la tête." "Je fais la tête parce que tu as fait peur à ta mère, à la mienne et à moi en passant !" Je réplique en lui jetant un coup d'œil. "Tu crois pas que c'est une raison suffisante ?" "Pourtant toi tu le fais tout le temps." "Je fais tout le temps quoi ?" "Tu pars et on sait pas si tu vas revenir." Je m'immobilise, la cuiller dans la bouche alors qu'elle me fixe. Je déteste quand elle a cette expression grave, j'avais la même quand mon père m'engueulait. Lentement, je repose ma tasse de café. "C'est ta tante qui t'a dit ça." "Elle dit que t'appelles jamais." Approuve Shinkin "Et que même si tu étais mort on en saurait rien à la maison. C'est vrai ?" Elle a dû entendre ça alors que ma mère la croyait couchée. Génial. Alors là pour se justifier... "Non c'est pas vrai. J'ai du travail alors je n'appelle pas toujours mais tu sais très bien que ta tante fait toujours des histoires. Je vais pas mourir parce que je rentre tard, que je sache." Si les mensonges brûlaient la langue, j'aurais la bouche en feu. Shinkin n'est pas dupe. Elle a de drôles d'idées mais elle a oublié d'être idiote. Je coupe court à la conversation en lui ordonnant de finir ses pancakes. Folle ambiance... La voilà qui tire la gueule à son tour, le nez sur son sirop d'érable. "Tu vas rester collée à la table, Shinkin." Je glisse avec un petit sourire en coin. Elle me tire la langue. "Je préférais les tanuki !" "Ça tombe bien, je t'ai vendue. Tu repars avec eux." Petit clin d'œil alors que je bois une autre gorgée de café. "Avec quels sous tu crois qu'on mange, là ?" Au moins, ça la fait rire. Je ne m'inquiète pas, elle a une capacité de concentration de puce cocaïnomane, elle aura relégué cette conversation au département "mon oncle me raconte des conneries" très rapidement. Et puis avec le nouvel an, je doute que sa mémoire fasse de la rétention. Je pars donc avec elle en fin de journée et je ne reviens pas avant le 6 Janvier. D'ici là, je vous souhaite en avance une excellente année. Bonnes fêtes.

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Source de l'image : raitank

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