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Frontal, moi ?

Ça n’aura pas traîné...Il faut avouer que le gouvernement aime rester discret et que point de vue discrétion, je leur ai fait une magnifique tache d’huile (Si vous arrivez en cours de route, c’est là). Ameuter les journalistes sur les pratiques cannibales d’un chef d’entreprise, ça allait fatalement agacer les hautes instances. Au moins n’ont-ils pas eu à chercher le responsable (votre serviteur, donc) très longtemps. *** “Nous souhaiterions que vous cessiez de harceler l’un de nos concitoyens.” Je ne suis pas diplomate, les membres du gouvernement qui me convoquent essaient pourtant d’y mettre les formes quand ils me parlent (Ce qui me donne la délicieuse impression d’être un attardé mental.). Mais ce matin, rien du tout : il m’a dit bonjour, m’a fait asseoir et m’a balancé le plat du jour sans même une entrée. Bien, au moins, ce sera de courte durée. “Harceler...Je suis navré mais il va falloir me donner quelques précisions, nos “concitoyens” représentent quelques millions de personne, faire le tri risque de prendre du temps. Et je crois que nous en manquons tous les deux, Matsui-san.” “Je veux parler de Gekkô Setsu-san. Vous avez récemment été particulièrement...Insistant et cela nuit à l’image de son entreprise. Et je ne vous parle pas des dégâts matériels, bien entendu.” Je lui oppose un silence stupéfait de quelques secondes (En général, plus je suis abasourdi longtemps, plus le retour de flamme est virulent, une sorte de “temps de chargement”). Je m’attendais à ce que Gekkô réagisse, bien sûr, mais pas à ce que ce soit le ministère qui le fasse pour lui. Satoru, rappelle-toi que tu es un maître zen, jamais ce petit mot de trois lettres n’a été aussi primordial pour t’empêcher de dire à un homme d’état de pratiquer un acte arrière que la pudeur devrait t’interdire de citer. “Insistant. Je suis “insistant” parce que vous lui laissez le champ libre pour diffuser sa propagande - sans m’en aviser - tout en sachant pertinemment de quelle manière il procède avec ses ouvriers et du danger que le gouvernement leur fait courir. QUI au juste de nous deux a pris l’autre pour un con ? Si vous vouliez me court-circuiter, Matsui-san, vous auriez carrément dû m’adresser une missive pour me prier de m’occuper de mes fesses.” J’ai tout déclamé d’une traite, presque essoufflé, avant d’ajouter en haussant les épaules. “Que j’aurais ignorée, cela va de soi.” “Kondo-san, pour qui est-ce que vous vous prenez ? Nous sommes vos employeurs !” Ha il veut partir sur ce terrain ? Parfait. Je me lève. “Certainement pas. Vous êtes juste des clients, pas mes supérieurs hiérarchiques.” Posant les poings sur le bureau, je le regarde droit dans les yeux. “Et si je veux bien tenir compte des désirs du client, il n’est pas question que j’entérine vos magouilles puantes avec les yôkai. J’ai déjà refusé de le faire. Je continuerai à démolir consciencieusement les tentatives foireuses de Gekkô et consort. Je ne suis pas là pour vous faire plaisir mais pour assurer la sécurité d’un maximum de gens.” “Maximum de gens que vous privez d’un emploi. Gekkô Setsu-san envisage de délocaliser une partie de son activité - c’est à dire des centaines d’emploi en moins, compte tenu du climat hostile qu’il rencontre au Japon.” Hostile ? Je veux, oui ! Depuis quand brosse-t-on dans le sens du poil les monstres qui dévorent les humains sous prétexte qu’ils payent bien ? On nage en plein délire ! “Néanmoins il est disposé à revoir sa position si vous présentez des excuses et un démenti.” Le maître zen vient de s’embraser. “Des excuses...DES EXCUSES ?? Non mais c’est plus du lèche-cul à ce stade, c’est de la coloscopie ! Si je vous suis bien il vaut mieux un mort qu’un chômeur ?” “Cessez vos allégations ridicules. Les accidents arrivent en usine, Gekkô-san a prévu un vaste plan de sécurisation des installations afin que cela ne se reproduise plus.” Je vais m’étrangler de rage...Sécuriser ? Bien sûr qu’il va “sécuriser”, il continuera son petit trafic de chair fraîche mais s’assurera que personne - pas même moi - ne puisse venir y jeter un œil. “Mais le ministère souhaite que tout fonctionne dans les meilleures conditions, vous serez donc chargé de faire des contrôles réguliers pour vous assurer que tout est mis en œuvre pour une sécurité optimale. Comme vous venez de le rappeler, c’est votre rôle. Nous n’avons pas cherché à vous “court-circuiter”, quoi que vous puissiez en dire.” Ajoute-t-il, ce qui - loin de me calmer- me fait définitivement perdre mon sang-froid. Contrôler ? Avec combien de kitsune sur le dos ? Gekkô est un maître des illusions, il saura se soustraire à mon attention, surtout s’il est prévenu de mes visites. “Vous êtes une lavette, Matsui. Je n’aurais jamais pensé que vous soyez à ce point à la botte des yôkai.” Il s’est figé et me fixe...Inspirant, il repose lentement le stylo qu’il tient. “Kami-sama, j’espère honnêtement que ce sont vos nerfs qui parlent pour vous, Kondo-san, ou vous êtes bien plus irresponsable que je ne le pense. Officiellement, ce que vous avez fait s’appelle de la diffamation. Je doute que les employés qui vont perdre leur place dans les prochains mois vous remercieront pour vos agissements. Vous pourrez toujours leur dire que vous leur avez “sauvé la vie” et leur raconter vos histoires hallucinantes, ils ne verront qu’une tête brûlée qui a décidé de leur avenir pour un problème de fierté.” A son tour il se lève. “Le ministre est fatigué de vous entendre vociférer. Nous avons besoin d’un onmyôji, un garant de paix, pas d’un agitateur. Ou bien vous rédigez cette lettre ou bien vous êtes viré Kondo-san. Avec tout ce que cela implique : le retour de votre casier judiciaire et l’annulation de votre tutelle sur votre cousine Shinkin Kondo. Votre père vous a peut-être dit que vous étiez votre propre maître mais la réalité est légèrement différente.” Il se rassoit et soupire. “Elle l’est pour tout le monde. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un industriel du gabarit de Gekkô Setsu. Entre votre tête et la sienne, inutile de dire que vous pesez moins lourd.” Même si je le savais déjà, ça ne me fait pas spécialement plaisir de me le faire jeter à la figure par ce politicard obséquieux, qui sue à l’idée que ce foutu Kyûbi et ses usines se barrent en Chine ou en Corée. S’il n’y avait pas eu Shinkin, je lui aurais dit d’aller se faire foutre. Finalement, je déglutis. “Ne venez pas pleurer quand ça vous retombera sur le coin de la gueule, Matsui.” Je laisse tomber en me dirigeant vers la porte. “Vous êtes sur un siège éjectable.”. “J’en dirais autant de vous, Kondo-san. Nous sommes au 21ème siècle, votre clan n’a plus les moyens de dicter sa loi encore moins avec un maître comme vous. Vous me ferez parvenir une copie de votre lettre d’excuse.” Je claque la porte à en faire trembler les murs et traverse comme une fusée le bureau de la secrétaire de Matsui avant d’aller appuyer sur le bouton d’appel de l’ascenseur. Il est justement en train de monter. Et naturellement, à l’intérieur... Gekkô ne m’adresse même pas un regard, sortant en me frôlant de l’épaule, tout sourire, ses mains griffues profondément enfoncées dans les poches. Il marque une pause et me jette un petit regard en arrière : “Une attaque aussi peu préparée...Et de front, comme toujours. Tu me déçois. Mes amitiés à Shinkin-kun et à ta mère.” Et il entre dans le bureau de Matsui sans même se faire annoncer.

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Source de l'image : orangeacid

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